Stoker, un hommage à Hitchcock ? On peut l’affirmer sans conteste, même si la manière de filmer et de traiter une intrigue policière est radicalement différente entre le pygmalion du film à suspense et son élève sud-coréen.
On pourra notamment apprécier les
différents clins d’œil qui nous rappellent à l’œuvre du maître :
La scène de la douche (Psycho), les champs de maïs (La mort aux trousses.) La
référence la plus soutenue étant bien évidemment celle faite au film de 1943
: L’ombre d’un doute. Park Chan-Wook ne se contente d’ailleurs
pas de s’en inspirer, il se l’approprie littéralement pour nous en livrer
soixante-dix ans plus tard une version totalement inédite et survoltée dans
laquelle on retrouve un « oncle Charlie » qui
nous apparaît plus mystérieux, plus envoûtant et bien plus
inquiétant que l’original. Mais la ressemblance s’arrête ici, car l’auteur
de Sympathy for Mister Vengeance a su se saisir avec simplicité de
la situation initiale du film d’Hitchcock pour ensuite s’en écarter
radicalement.
Par ailleurs, Park Chan-Wook se
révèle prodigieux dans sa maîtrise de l’image. Certains seront sans doute déçus
par le manque de frénésie de la caméra (mouvements qui nous avaient énormément
séduits dans Old Boy), mais ceci sera amplement rattrapé par le travail
sur les formes et les couleurs ainsi que par l’efficacité du réalisateur pour
capturer la beauté sur l’ensemble des éléments qui constituent le film. Les
images récurrentes, telles que les sphères du jardin, reviennent hanter la
pellicule à plusieurs reprises (par le biais des balles de tennis, la boule qui
roule entre les pattes du bousier.) Ce sont tous ces petits détails qui sont là
pour rappeler l’omniprésence du cinéaste. Rien n’est laissé au hasard. Les yeux
de tous les protagonistes apparaissent sans cesse en gros plans :
beaux ; vitreux ; brillants comme des Agathe. Cette fixation sur le
regard accentue le climat de suspicion quasi-général dans lequel
baignent les personnages. Tout le monde s’observe. Chaque personnage jauge les
forces chez celui qu’il a en face avant de se décider à passer à l’offensive.
Jeu de manipulation, rapports érotiques consanguins, aliénation et brutalité…
Pas de doute, on se retrouve bien avec les thèmes de prédilections du
réalisateur asiatique. L’ambiance du film est glaciale, pénétrante,
terrifiante, dérangeante, envoûtante déstabilisante… La violence et
la folie inscrites dans les gènes de la famille Stoker, véritables
Rougons-Macquarts des temps modernes, guident leurs pas vers une issue
dramatique et inévitable. Au final, Stoker se révèle donc plus proche
de l’univers de Zola que de celui d’Hitchcock, et la question de
l’identité en est l’une des principales clefs. Le questionnement de la jeune
India Stoker sur l’héritage qu’elle tient de sa famille nous rappel clairement
les errances existentielles de Jacques Lantier, le héros de La bête
humaine.
On retiendra enfin l’ambiance
lancinante de ce hui-clos brossé au vitriol. À chaque instant on aura eu
l’impression de basculer d’une piste à une autre pour finir par comprendre que
ce qui se trame nous échappe totalement. Entre rêve morbide et réalité
hallucinée, difficile de savoir si le personnage de l’oncle Charlie est réel ou
s’il s’agit d’une création issue d’un esprit dérangé. Dualité, schizophrénie,
ambivalence, tout est là dans le caractère des personnages comme dans les
relations qu’ils entretiennent pour déstabiliser le spectateur. Le doute qui
s’installe et les évidences qui semblent sans cesse être remises en question
n’ont pas fini de nous perdre. Deux types de relations marquent ainsi le
triangle amoureux et incestueux qui unit la fille, la mère et l’oncle. Le
rapport dominant-dominé symbolisé par la chasse, mais surtout l’interdépendance
des personnages entre eux ; l’oncle, qui s’est créé au fil du temps tout un
univers gravitant autour de sa complicité avec une nièce qu’il n’avait alors
jamais rencontré ; la mère, dont la dévotion pour ce beau-frère arrivé de
nul-part révèle clairement sa crainte de vivre seule ; Et enfin la fille. C’est
sans aucun doute le personnage principal du film, celui qui va se retrouver au
centre de toutes les attentions et qu’on va voir évoluer. Frigide dans un
premier temps, elle va découvrir le désir charnel au travers des différentes
approches de son oncle. Au contact de ce dernier, India va alors
progressivement se défaire de ses chaînes pour découvrir enfin qui elle
est réellement. Comme dans une aventure initiatique, on va observer
notre protagoniste dans son passage de l’état de petite fille discrète et
complexée à celui de femme fatale qui assouvi librement ses envies de violence
et de meurtre. Comme le suggère l’image de l’araignée qui monte en elle tout au
long du film, la jeune fille se transformera alors de plus en plus à une veuve
noire jusqu’à ce que la bête se soit entièrement emparée de l’enfant.
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